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Vie et mort d’un asphodèle

par Lorenzo Dallavera, 6 ans.

Un asphodèle, ça vit dans la montagne. Je le sais, parce que j’en ai vu un pendant les vacances d’été, et papa a cherché dans un livre comment il s’appelait. Au début, il disait que c’était une fleur mais moi, je savais bien qu’il avait un autre nom. C’est comme si on appelait tous les enfants « un enfant ». Et le nom, c’est « asphodèle ». C’est joli, je trouve, un peu dur, exactement comme la fleur blanche avec des pointes qui piquent.

Depuis que je l’ai vu, je pense souvent à l’asphodèle. Je me pose des questions. Par exemple, est-ce qu’ils se parlent, avec les autres plantes de l’alpe ? Ou même entre asphodèles ? Est-ce que c’est le vent qui porte leurs voix ? Ou alors ils bougent et les autres savent ce que ça veut dire ? Peut-être qu’ils parlent vraiment mais que nos oreilles n’entendent pas ? Et aussi, je crois qu’un asphodèle n’est pas très heureux. Je veux dire, ça ne joue pas au foot dans la pelouse, ça ne regarde pas les dessins animés à la télévision le dimanche matin en pyjama. Ça ne mange pas de crescentine. C’est un peu triste, je trouve.

Ma Nonna, elle me prépare toujours des crescentine. Enfin pas toujours-toujours, mais souvent quand même. Parfois je peux même les faire avec elle, et ça, c’est chouette. Elle me laisse tirer la pâte avec la machine, plein de fois, jusqu’à ce qu’elle devienne toute fine et presque blanche. Alors elle découpe des morceaux avec son grand couteau, mais moi je ne peux pas le toucher parce qu’elle dit que ça coupe. Mais je peux manger les petits bouts qui dépassent, et c’est trop bon. Presqu’aussi  bon que les crescentine cuites. Parfois je me dis qu’un asphodèle a une super vie, sans tracas, sans devoir sourire à tout le monde même quand il n’a pas envie, sans qu’on le regarde toujours comme une bête curieuse parce que son cerveau va trop vite. Mais parfois, quand je mange les petits bouts de crescentine crues, alors je suis bien content de ne pas être un asphodèle. C’est vrai, quoi, je parie qu’ils n’ont même pas de Nonna.

Je me demande s’ils ont des copains, les asphodèles. Ou alors peut-être que c’est comme nous : qu’ils se regardent tous avec des sourires et des courbettes mais qu’au fond ils passent leur temps à se moquer.  A l’école, ils se moquent tous de moi parce que je connais toutes les réponses et aussi parce que j’écris des livres. Alors ils disent que je suis un intello. En plus, je n’ai même pas de lunettes ! Papa dit qu’ils sont bêtes et jaloux et que je ne dois pas les écouter. Mais ce n’est pas possible de ne pas écouter, ou alors il faut mettre de l’ouate dans ses oreilles et on m’appellera « ouate man » et ce ne sera pas mieux. Alors je fais tous leurs devoirs et aussi j’invente les jeux les plus supers du monde et ils veulent tous jouer avec moi. Mais ils s’en fichent de savoir ce qu’est un asphodèle.

A la montagne, pendant les vacances d’été, ma sœur Tiziana a cueilli l’asphodèle pour l’offrir à Maman. C’était un beau cadeau, je trouve, avec les belles fleurs blanches et tout. Et Maman a été très contente. J’aime bien quand Maman est contente, elle a des sourires dans les yeux comme Minnie dans les dessins animés. L’asphodèle, je ne sais pas s’il était content, vu qu’il était mort. Maman a arraché une fleur et l’a mise dans ses cheveux, sur le côté, alors Papa lui a fait un bisou et on a continué la promenade.

En gros, un asphodèle, ça vit et puis ça meurt. Comme nous, quoi. Sans les crescentine. Et ça, c’est vraiment pas de chance pour lui !